Dans le cadre de leur action administrative, les collectivités territoriales sont fréquemment confrontées à l’épineuse problématique de la communicabilité des documents administratifs au public. Organisée dans un premier temps par la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public, ce principe de liberté d’accès est désormais régi par le Code des Relations entre le Public et l’Administration de 2016.

A cet égard, ce dernier dispose en son article L.311-1 que « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. »

Dans un souci de clarification, l’article L.300-2 du même code vient utilement préciser que « Sont considérés comme documents administratifs (…) quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales (…). Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. »

 Ainsi, les collectivités territoriales ont pour obligation légale de faire droit aux demandes de communication de documents considérés comme administratifs et achevés.

S’agissant de la réponse de l’administration à cette demande, la procédure instituée par le CRPA prévoit que celle-ci doive être apportée au requérant dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande, sauf à ce qu’une décision implicite de refus de communication intervienne à l’issue de ce délai, et ce en application des articles R.311-12 et R.311-13 du même Code qui disposent respectivement que « Le silence gardé par l’administration, saisie d’une demande de communication de documents en application de l’article L.311-1, vaut décision de refus » et que « Le délai au terme duquel intervient la décision mentionnée à l’article R.311-12 est d’un mois à compter de la réception de la demande par l’administration compétente ».

Si une décision expresse ou implicite de rejet doit être donnée par la personne publique, l’administré conserve néanmoins la possibilité de saisir la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) dans un délai règlementaire de deux mois suivant la décision en question, étape qui constitue en tout état de cause un préalable obligatoire à l’exercice d’un recours contentieux devant la juridiction administrative contre un refus de communication.

Occupant ainsi une place centrale au sein du droit des collectivités territoriales, le principe de la communicabilité des documents administratifs trouve à s’appliquer à l’ensemble de ces derniers et, notamment, aux documents administratifs contractuels.

En effet, la CADA rappelle de manière constante que sont des documents administratifs au sens des dispositions susvisées les documents contractuels, produits, reçus ou détenus par une personne morale, de droit public ou privé, chargée d’une mission de service public s’ils présentent un lien suffisamment direct avec leur mission de service public ou s’ils comportent des clauses exorbitantes du droit commun (CADA, avis n° 20141034 du 10 avril 2014. CADA, avis n° 20124947 du 24 janvier 2013).

Ainsi, sont considérés comme des documents administratifs au sens des dispositions précitées notamment les marchés publics et leurs avenants, les conventions de délégation de service public, les contrats de concession de service ou les contrats de délégation de service public, lesquels sont donc communicables dès lors qu’ils sont signés (CADA, n° 20065427 du 21 décembre 2006).

De même, et en application de l’article L. 300-3 du CRPA tel qu’issu de la Loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016, sont désormais également couvert par le droit à communication les documents relatifs à la gestion du domaine privé des Collectivités Territoriales.

Toutefois, le caractère fondamental du principe de communicabilité des documents administratifs ne confère pas pour autant aux tiers le bénéfice d’un droit absolu, le CRPA venant limiter son exercice dans l’objectif d’éviter d’éventuels abus pouvant remettre en cause la nécessaire protection d’autres droits.

Ainsi, d’un point de vue procédural, pour être communicables, les documents en cause doivent être considérés, au sens de l’article L.311-2 du même Code, comme administratifs mais également achevés, excluant ainsi par principe le droit à la communication de documents préparatoires à une décision administrative en cours d’élaboration.

De même, cette communicabilité ne s’impose pas pour les documents ayant déjà fait l’objet d’une diffusion publique ou lorsque la demande peut être considérée comme abusive au regard du nombre ou de la répétition des demandes de communications.

Mais surtout, l’article L.311-6 du Code des Relations entre le Public et l’Administration dispose que « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret en matière commerciale et industrielle, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; (…) ».

 A cet égard, la CADA précise que trois types de mentions sont couvertes par ce même secret :

  • Les mentions protégées par le secret des procédés, c’est-à-dire les mentions relatives au savoir-faire, aux techniques de fabrication, etc.
  • Les mentions protégées par le secret des informations économiques et financières, c’est-à-dire les informations économiques et financières concernant le cocontractant (chiffre d’affaire, capacités financières, etc.)
  • Les mentions protégées par le secret des stratégies commerciales, c’est-à-dire les informations concernant le prix, les remises, etc.

La CADA consacre ainsi une protection relative aux mentions concernant la stratégie technique et financière du cocontractant, aux investissements réalisés, au financement et à l’actionnariat, ou encore les éléments sur le montage juridico-financier et comptable du cocontractant.

Il conviendra donc dans de telles hypothèses d’examiner in concreto, au regard des principes sus rappelés, le caractère ou non communicable, en partie ou intégralement, des documents administratifs contractuels sollicités.

Ainsi, s’agissant à titre d’exemple des marchés publics, la CADA considère qu’une partie seulement des documents afférents à un marché public conclu par une Commune peuvent être communiqués aux tiers.

En effet, si l’acte d’engagement du marché, les CCAP et CCTP et l’offre de prix globale du marché sont pleinement communicables, le mémoire technique du titulaire du marché et le détail des prix proposé (BPU et DPGF) ne sont pas communicables au titre de la protection du secret industriel et commercial (CADA, avis n° 20062949 du 11 juillet 2006).

De même, dans un avis récent et didactique, la CADA a rappelé l’étendue de ces principes en matière de marchés publics :

« L’examen de l’offre d’une entreprise attributaire au regard du respect du secret en matière commerciale et industrielle conduit ainsi la commission à considérer que l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ne sont pas communicables aux tiers, sans qu’il soit besoin de s’interroger sur le mode de passation, notamment répétitif, du marché ou du contrat, sa nature, sa durée ou son mode d’exécution.

L’examen de l’offre des entreprises non retenues au regard des mêmes principes conduit de même la commission à considérer que leur offre de prix globale est, en principe, communicable mais qu’en revanche, le détail technique et financier de cette offre ne l’est pas.

En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants :

– les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu’aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d’affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ;

– dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d’analyse des offres) les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises. » (CADA Avis du 23 juin 2016 n°20162183)

Le législateur a donc ainsi souhaité tempérer le droit à communication à l’égard des tiers afin de concilier des exigences antinomiques de transparence de l’action publique et de nécessaire protection du secret des affaires et des relations contractuelles.

Sébastien THOINET et Benjamin VINCENS-BOUGUEREAU

Avocats Associés