Aux termes des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative :
« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».
Innovation la plus complète introduite par la loi du 30 juin 2000, le référé dit « liberté », complète avec évidence le dispositif de protection des libertés et conforte le juge administratif dans ce rôle et dans le champ de sa compétence.
Depuis l’ouverture de cette voie de droit, le juge administratif n’a eu de cesse que d’apprécier cette notion de « liberté fondamentale » au travers d’une jurisprudence abondante. Pour autant, force est de constater que, malgré la reconnaissance comme objectif à valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement par le Conseil Constitutionnel (CC, DC, 31 janvier 2020, n°2019-823, QPC, Union des industries de la protection des plantes), le droit de vivre dans un environnement ne figure toujours pas au nombre des libertés fondamentales et ce dans une ère où l’urgence climatique est de mise.
Pour autant, 22 ans après l’entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000, la consécration de la Charte de l’Environnement en 2005, les différents sommets, traités et conférences des parties sur le thème du réchauffement climatique et du développement durable, les rapports alarmistes du GIEC, la condamnation de l’Etat français à verser une astreinte de 10 millions d’euros pour le non-respect des normes européennes sur la pollution de l’air (Conseil d’Etat, 10 juillet 2020, n°428409), Greta Thunberg… le Conseil d’Etat, par une Décision du 20 septembre 2022, consacre (enfin) le droit de vivre dans un environnement sain, tel qu’il est prévu par l’article premier de la Charte de l’Environnement, comme étant une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de de justice administrative (Conseil d’Etat, 20 septembre 2022, n°451129).
Il aura fallu du temps et du recul pour que cette notion soit inscrite au palmarès des libertés fondamentales invocables dans le cadre de la procédure dite de référé-liberté.
La consécration de cette liberté permet d’ouvrir une nouvelle voie juridique pertinente au nom de la protection de l’environnement. Néanmoins, le Conseil d’Etat rappelle dans sa décision que si cette liberté peut être invoquée, encore faut-il que les conditions de la procédure de référé soient remplies, à savoir, l’urgence nécessitant l’intervention du juge dans un délai très bref et la démonstration d’une atteinte grave et manifestement illégale. C’est pourquoi, dans ladite décision, le Conseil d’Etat déboutait les requérants en ce que l’une des deux conditions n’était pas remplie.
Cette nouvelle « voie de droit » ne manquera pas d’inspirer des justiciables en quête d’un monde meilleur. Après les tribunaux administratifs de Marseille et de Lille, saisis sur des questions liées à la pollution de l’air, c’est au tour du Tribunal administratif de Pau, la petite juridiction du Sud-Ouest, d’être saisi par le biais du référé-liberté concernant la protection des espèces protégées (TA de Pau, 10 novembre 2022, n°2202449).
En l’espèce, la commune littorale de Labenne, dans les Landes, a fait l’objet d’un vaste projet d’aménagement en trois phases, nécessitant la réalisation de travaux de défrichement pour permettre la construction de deux lotissements et 18 villas. Les premières et deuxièmes phases du projet ayant été réalisées, la société pétitionnaire pouvait dès lors entamer la troisième phase du projet consistant en la construction de ces 18 villas, dans le prolongement immédiat des lotissements des phases 1 et 2.
Cette nouvelle extension portait sur une superficie de 11 649 m² et une surface plancher créée de 10 110 m² sur deux parcelles boisées.
La société ayant obtenu l’autorisation de la préfète des Landes d’entamer les travaux de défrichement, qui devaient débuter le 7 novembre 2022, par une requête enregistrée le 4 novembre 2022, l’association SEPANSO Landes saisit le juge des référés du Tribunal administratif de Pau sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative et demande d’enjoindre ladite préfète de suspendre les travaux de défrichement sur les parcelles en cause.
A l’appui de sa requête, l’association soutient l’urgence de sa demande par la marcation des arbres dont leurs défrichages devraient être imminent et ne prendre qu’une journée au regard de la parcelle à défricher. S’agissant de l’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale, l’association mettra l’accent sur la protection des espèces protégées et l’absence de dérogation formulée par le pétitionnaire du projet au regard des articles L. 411-1 et L. 441-2 du Code de l’environnement.
Pour se prononcer, le juge des référés de la juridiction administrative Paloise reprendra le raisonnement dégagé par le Conseil d’Etat sur la consécration du droit de vivre dans un environnement sain et sur les conditions d’une telle procédure en référé-liberté.
D’une part, le juge administratif retiendra la condition d’urgence comme remplie eu égard à la mission principale de l’association requérante et le commencement imminent des travaux de défrichement :
« (…) Pour justifier de l’urgence, l’association SEPANSO LANDES, ayant pour mission principale la défense des droits de l’Homme à un environnement sain et notamment la sauvegarde de la faune, de la flore, du milieu dont elles dépendent, ainsi que des équilibres biologiques et la préservation des sites et des paysages et du cadre de vie contre toutes les formes de dégradations qui les menacent, y compris l’exposition aux risques naturels et technologiques, fait valoir que le défrichement des parcelles concernées, AO n°156 et n°160, dont le commencement d’exécution était prévu pour le 7 novembre 2022, porte une atteinte grave et irréversible aux espèces protégées et à la destruction de l’habitat d’intérêt communautaire d’autant que l’exécution de la mesure attaquée sur une surface aussi réduite pourrait être totalement réalisée en une journée. (…) ».
D’autre part, le juge de l’évidence, au regard des circonstances particulières de l’espèce, combinera le respect de l’article premier de la Charte de l’environnement avec les articles L. 441-1 et L. 442 du Code de l’environnement :
« (…) il est constant, tel que cela résulte notamment des échanges à l’audience, qu’une instruction supplémentaire par le pétitionnaire est nécessaire en vue d’une éventuelle demande de dérogation aux espèces protégées telle qu’elle résulte des dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement. (…) la mise en œuvre de l’autorisation de défrichement étant susceptible de porter une atteinte grave et manifestement illégale aux espèces protégées présentes sur le site sur lequel le projet de lotissement est amené à être réalisé, les conditions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative sont réunies. (…) ».
Ainsi, le juge des référés du Tribunal administratif de Pau a fait droit à la demande présentée par l’association requérante et a ordonné la suspension de l’arrêté de la préfète des Landes autorisant le défrichement des parcelles concernées jusqu’à ce que :
« (…) la même autorité se prononce sur la nécessité pour la société pétitionnaire de déposer une demande de dérogation aux espèces protégées tel que prévu aux dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’environnement. Dans l’hypothèse où la nécessité pour la société (…) de déposer une demande de dérogation aux espèces protégées n’est pas établie, l’autorisation de défrichement en question redeviendra exécutoire ».
Cette mise en pratique du principe dégagé par la jurisprudence de Conseil d’Etat permet d’appréhender la façon dont le juge administratif se positionne sur l’atteinte grave et manifestement illégale au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, qui pourrait s’apprécier de manière large.
Au cas présent, la requête n’a pas fait l’objet d’appel.
Inam AUDOUARD et Benjamin VINCENS-BOUGUEREAU
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